Hiroshima, mon amour

 

Jean-Gabriel Périot réalise une fiction qui possède la véracité d’un documentaire et la puissance d’une féérie.

 

En plein mois d’août, au cœur de la saison la plus lumineuse de l’année, voici un film sur la mémoire de Hiroshima. Quelle drôle d’idée, penserez-vous, de programmer une tell œuvre maintenant. La torpeur estivale a-t-elle bon dos ou l’anniversaire lugubre du 6 août 1945, a-t-il prévalu ? Peu importe, car lorsque vous aurez vu Lumières d’été – dont le titre, en soi, est un encouragement à la joie –, vous trouverez l’ombre et la vie en même temps. La mort et la nécessité de la paix.

Ce premier long-métrage de fiction de Jean-Gabriel Périot se déroule donc à Hiroshima, de nos jours. La cité aux sept rivières vit depuis soixante-dix ans dans le souvenir et la devoir de mémoire. Akihiro y est de passage. Japonais vivant à Paris, il réalise un documentaire sur les survivants de la bombe atomique. Une vieille dame, belle et droite, raconte qu’elle avait 14 ans en ce mois d’août 1945 et qu’elle a été sauvée par un simple mur.

 

Long éclair blanc

Elle évoque cette journée, l’impression que la guerre touchait à sa fin, la chaleur de l’été, la joie de vivre qui flottait malgré la famine et le conflit. Elle décrit les instants qui précèdent la déflagration, le long éclair blanc, le bruit strident et puis le souffle qui la jeta à terre. Elle se rappelle les maisons démolies comme des petits châteaux de cartes, les gémissement, partout autour d’elle, les corps brûlés, sa sœur infirmières qui était ravissante et qui, après avoir soigné des blessés par centaines, perdit ses cheveux et finit par s’éteindre. « Je ne pouvais pas admettre qu’on ait infligé ça à des êtres humains, dit la survivante. Et, aujourd’hui, je ne peux que raconter, c’est ma façon de me battre. »

Akihiro écoute, filme. Une fois, l’interview achevée, il est bouleversé. Il va faire quelques pas sous le soleil de cette journée magnifique. Les oiseaux chantent et, dans le parc de la Paix – où se dresse le monument aux victimes –, il pense à cette femme et à la bombe. Comment ressentir, si longtemps après, l’impact d’une telle tragédie ? Comment en tire la leçon en profondeur ? Sur le banc où il s’assoit, une jeune fille souriante l’accoste. Elle se propose de lui montrer ce qu’il n’a sans doute pas vu.

 

Un Japon qui rend hommage

« On peut s’apitoyer ou décider d’ouvrir les yeux, et alors tout se donne à voir… » dit-elle. Elle l’entraine dans les rues de la ville, lui ouvre les paupières. Le film devient ainsi, par le truchement de ce réalisateur qu’hantent les témoignages qu’il a recueillis, une œuvre de renaissance. Une œuvre à la frontière des vivants et des morts, où les disparus viennent ré-enchanter le monde. Une œuvre intime où la grande histoire s’inscrit sans solennité, à travers les gestes les plus simples et le séjour d’un homme suivant une jeune fille éternelle. Où le poids du passé s’allège par la grâce d’un présent qui fait corps avec les jours enfuis et fête sans relâche le moment qui vient.

L’inconnue, Michiko, emmène Akihiro à la mer. Elle n’est jamais allée sur la côte, car ici, à Hiroshima, le littoral est inaccessible. Il faut prendre le train pour découvrir l’immensité bleue, les petits ports et des enfants qui pêchent des poissons pour le dîner.

La visite n’est pas du touristique. Il y flotte un air de rêves et la féérie d’un Japon qui rend hommage à ses ancêtres et que le quotidien magnifie. Pour le reste, Akihiro a déjà deviné ce qui se passe. Nous aussi, grâce à cette fable à la lisière de deux mondes qui régénère les vivants que nous sommes.

 

Sophie Avon
Sud Ouest
13 août 2017